La firme Coronado commercialise des filtres pour l’observation du soleil en lumière quasi monochromatique dans la raie Hα de l’hydrogène neutre (656.28 nm). Cette raie du spectre solaire, dont la largeur à mi hauteur vaut environ 0.1 nm, révèle la chromosphère solaire, les filaments, les protubérances, et les centres actifs qui peuvent donner naissance à des éruptions. Pour ce faire, ces filtres sont composés de deux éléments bien
distincts :
- le premier est un interféromètre à ondes multiples dit de « Fabry Pérot » (FP), destiné à fonctionner dans un faisceau de lumière parallèle, et qui se place pour cette raison en pleine ouverture devant l’objectif de la lunette astronomique. Le FP fournit de la source lumineuse un spectre cannelé composé d’une succession de pics distants d’environ 1 nm. La largeur à mi hauteur de chaque pic est de l’ordre de 0.07 nm, c’est à dire parfaite pour observer les protubérances au limbe. Les filaments sur la chromosphère seront également visibles, mais avec un contraste modéré.
- le second est constitué d’un filtre interférentiel rouge centré sur Hα dont la bande passante à mi hauteur est de l’ordre de 1 ou 2 nm de façon à isoler au mieux la cannelure dans laquelle se trouve la raie.
Comme on le verra, il est possible dans un FP de décaler la bande passante vers l’aile bleue ou l’aile rouge de la raie observée en agissant sur l’angle d’incidence du faisceau ou sur l’épaisseur de l’interféromètre. Sur un Coronado, l’épaisseur n’étant pas réglable, le seul moyen de le faire est d’incliner l’interféromètre. Le déplacement de la bande passante fournit une vision qualitative des mouvements de matière, parce que l’effet Doppler décale la raie vers le bleu ou vers le rouge lorsque la matière est en mouvement dans la direction de l’observateur, selon la relation V// = C Δλ / λ, où C est la vitesse de la lumière, λ la longueur d’onde de la raie et Δλ son décalage (vers le rouge pour un éloignement). Par exemple, un décalage de 0.1 nm de la raie Hα correspond à une vitesse radiale de 45.7 km/s, vitesse qui peut être atteinte couramment lors des éruptions ou instabilités des filaments.
La description qui suit ne prétend pas refléter avec exactitude les caractéristiques des filtres Coronado : nous en donnons simplement le principe de base.
Le principe de l’interféromètre FP à ondes multiples
L’étalon FP est constitué d’une lame à faces parallèles partiellement réfléchissantes, le coefficient de réflexion étant élevé et voisin de 0.9. On utilise plus couramment un montage comportant deux lames de verre à faces parallèles sur lesquelles on a déposé une couche métallique réfléchissante et séparées par de l’air (figure 1), parce que la stabilité thermique d’une telle cavité est meilleure. La distance entre les deux couches métalliques e doit notamment être insensible aux variations de température. e est généralement variable dans les FP professionnels pour déplacer la bande passante du filtre. i est l’angle d’incidence (petit) du faisceau de lumière parallèle sur l’interféromètre. Dans ce qui suit, on néglige l’épaisseur des lames de verre et on appelle r et t les coefficients de réflexion et de transmission des surfaces métallisées (r et t sont liés par la relation r2 + t2 = 1, on utilise parfois les facteurs énergétiques définis par R = r2 et T = t2).
E0 est le champ électrique correspondant au rayon incident. C’est un vecteur qui vibre dans une direction orthogonale à la figure. Il résulte des réflexions multiples une multitude de rayons réfléchis E’1, E’2, … E’n et transmis E1, E2, … En auxquels on s’intéresse ici. Ces rayons en se combinant vont donner naissance à un phénomène d’interférences constructives et destructives. Si I0 est l’intensité de l’onde incidente (proportionnelle à E02), on peut montrer en calculant le champ électrique résultant E = E1 + E2 + …En, avec n tendant vers l’infini, que l’intensité théorique transmise It est égale à :
où 4 ∏ e cos i / λ est la différence de marche entre deux rayons consécutifs En-1, En.
Cette fonction, représentée sur la figure 2 en fontion de λ, possède des maxima appelés cannelures et leur position est donnée par λ = 2 e cos i / p, ou p est un nombre entier appelé ordre d’interférence.
La distance entre deux cannelures est donnée par dλ = λ2 / 2 e cos i et est d’autant plus petite que la cavité est épaisse (e grand). Les cannelures ne sont pas équidistantes en longueur d’onde (par contre elles le sont en nombre d’onde k = 2 ∏ / λ).
La largeur à mi hauteur d’une cannelure est fournie par la relation Δλ = ( λ2 / (2 ∏ e cos i) ) ( 1 - r2 ) / r
On constate que les cannelures sont d’autant plus étroites que la cavité est épaisse (e grand) et que le pouvoir réfléchissant est élevé (r proche de 1).
Numériquement, on obtient avec r = 0.9, e = 211 µ et i = 0° (incidence normale) la raie Hα à l’ordre p = 643. Dans ces conditions, la distance entre deux cannelures au voisinage de Hα est dλ = 1 nm environ, et la largeur à mi hauteur de la cannelure vaut Dλ = 0.07 nm (caractéristiques du Coronado). Cette cannelure qui contient Ha devra être sélectionnée par un filtre interférentiel dont la largeur à mi hauteur ne devra pas excéder typiquement la distance entre deux cannelures, soit 1 nm.
La finesse d’un FP est donnée par le rapport dλ / Δl = p r / ( 1 – r2 ) ; dans l’exemple pris, il est égal à 15 environ. La finesse ne dépend que du coefficient de réflexion. Plus la finesse est grande, et meilleur est l’interféromètre.
Le contraste est défini par le rapport Imax/Imin entre l’intensité des maxima et des minima. Il est facile de montrer que Imax/Imin = ( ( 1 + r2 ) /( 1 – r2) )2 ; dans notre exemple, on aurait Imax/Imin = 90.
La figure 2 montre ce qui se passe lorsqu’on choisit un filtre interférentiel sélectionneur d’ordre trop large : avec 1 nm à mi hauteur, la cannelure centrale est parfaitement isolée ; avec 2 nm, l’image sera déjà perturbée par les deux cannelures adjacentes ; et avec 4 nm, l’image sera très sérieusement polluée par les cannelures voisines, diminuant progressivement les contrastes. Le spectre cannelé de la figure 2 est bien en accord avec l’expérience simple que nous avons menée en plaçant un petit Coronado de 40 mm d’ouverture devant la fente d’entrée d’un spectrographe. Par contre nous n’avons pas pu mesurer la largeur du filtre interférentiel parce qu’il nous a été fourni serti dans un renvoi coudé difficilement testable.
Variations avec l’angle d’incidence
On remarquera qu’une faible inclinaison angulaire d’un FP par rapport au faisceau n’agit que dans un seul sens, à ordre d’interférence constant, en décalant la bande passante toujours vers le bleu, c’est la raison pour laquelle sous incidence normale le réglage en usine doit donner un centrage légèrement décalé vers l’aile rouge. Si l’on souhaite décaler la raie de δλ vers le bleu, on peut montrer qu’il faut incliner l’interféromètre d’un petit angle δi mesuré en radians tel que δi = ( 2 δλ / λ)0.5 ; par exemple, avec λ=656.28 nm et δλ = 0.1 nm (soit la largeur de la raie Hα), on trouve avec cette formule δi = 1°. Cette possibilité est bien utile lorsqu’on souhaite balayer la raie spectrale pour y mettre en évidence des vitesses radiales importantes (figure 3).
Utilisation en faisceau non parallèle
La figure 3 permet de comprendre ce qui se passe lorsque le FP ne travaille plus en lumière parallèle devant l’objectif de la lunette, mais au foyer. Si l’on prend un instrument ouvert par exemple à f/20, les rayons marginaux seront inclinés d’environ 1.5° par rapport à l’axe optique ; du coup la raie Hα sortira de la bande passante (décalage de 0.2 nm pour les rayons inclinés à 1.5°). Pour éviter cet inconvénient, il est recommandé de travailler avec une ouverture plus petite que f/50. Nous n’avons pas vu d’effet significatif à f/75 à la Tour Solaire de Meudon ; par contre le faisceau doit être collimaté avec soin sous peine de voir s’élargir les cannelures.
Principe des filtres interférentiels de blocage
Nous avons vu la nécessité d’utiliser un filtre interférentiel de 1 à 2 nm de large pour sélectionner la cannelure dans laquelle la raie observée apparaît. Un filtre interférentiel n’est en réalité pas autre chose qu’un petit interféromètre FP extrêmement mince. La réalisation d’un filtre interférentiel est complexe. On utilise souvent des filtres à plusieurs cavités. Dans l’exemple purement didactique de la figure 4, nous avons représenté un filtre à deux cavités. La premiére cavité, dont l’épaisseur est de l’ordre de 1 m, présente des cannelures distantes de 150 nm environ ; la largeur des cannelures y est de 15 nm. A l’aide d’un filtre en verre coloré de bonne qualité, on sélectionne la cannelure qui contient la raie à observer. La seconde cavité est 10 fois plus épaisse (10 µ) et donne des cannelures distantes de 15 nm environ, avec une largeur à mi hauteur de 1.5 nm. La cannelure isolée dans la première cavité par le filtre coloré va maintenant servir à sélectionner la cannelure 10 fois plus étroite de la seconde cavité, cannelure qui contient la raie, et qui sera analysée finement par le FP.
L’observation d’autres raies
Il est en théorie possible d’observer avec un Coronado d’autres raies qu’Hα en se souvenant que la position des cannelures est donnée par la relation λ p / cos i = constante, p étant un nombre entier (ordre d’interférence). Par exemple, si la raie Hα pour λ = 656.28 nm tombe dans l’ordre 643, on trouvera à l’ordre 1073 un pic pour λ = 393.28 nm, c’est la raie CaII K très large dont le cœur se trouve à 393.37 nm. Mais il faudra disposer d’un filtre interférentiel plus étroit encore que pour Hα, parce que la distance entre les cannelures est nettement plus faible dans le bleu que dans le rouge. Un tel filtre est malheureusement très coûteux lorsqu’il n’est pas fabriqué en série.
[/ Jean-Marie Malherbe, Nicole Mein, Observatoire de Paris - 2006 /]