Originalité des observations du Spectrohéliographe de Meudon dans le contexte international

L’observation de la chromosphère est l’apanage des observatoires au sol. Le Spectrohéliographe de Meudon est spécialisé en Hα (filaments), CaII (régions actives, facules, protubérances). La chromosphère (8000 K) est à la source de l’activité solaire. Elle n’est pas observée par les satellites (SOHO, SDO, STEREO) qui se concentrent sur l’atmosphère chaude en UV (de 80 000 à 107 K).

Les observations Hα systématiques sont répandues en Europe (Canaries, Portugal, Autriche, Italie, Belgique, Pic du Midi). Néanmoins celles du Spectrohéliographe de Meudon sont exceptionnelles car spectroscopiques : elles sont les seules au monde disponibles en cubes de données (x,y,λ) avec les raies résolues (0.2 Å) tout le long du profil. Les profils des raies apportent une grande richesse par rapport aux images monochromatiques en diagnostics spectroscopiques.

Les observations effectuées sur le site de Meudon de l’Observatoire de Paris sont anciennes et réputées, mais le site dispose d’un ensoleillement modéré. Néanmoins, il est possible d’effectuer des clichés, à un moment de la journée, dans un trou entre deux nuages, près de 260 jours par an, ce qui est un très bon résultat. Les observations effectuées avec le Spectrohéliographe de Meudon se positionnent donc très favorablement dans le contexte de la climatologie de l’espace, en étudiant la cyclicité et la variabilité solaire à longue échelle.

En disposant d’une collection unique au monde de 10 cycles observés de l’activité solaire, ce service est un des rares qui puisse répondre à des questions scientifiques portant sur l’évolution des structures solaires au cours du temps.

Il convient de poursuivre avec régularité et continuité ce type d’observations : en effet, 10 cycles de 11 ans, c’est peu pour comparer les cycles solaires entre eux et s’intéresser aux fluctuations d’un cycle à l’autre, à l’échelle de plusieurs décennies (e.g. cycle centennal de Gleissberg).

Taches solaires observées avec le spectrohéliographe en CaII K3
Ces trois observations du Spectrohéliographe de Meudon présentent trois groupes important de taches solaires
Le groupe de 1947 est le plus imposant trouvé dans les archives historiques.
Celui de 2003 a produit une forte éruption de classe X.
Celui de 2012 a récemment engendré un événement X plus typique.
Observatoire de Paris, Communiqué de Presse 2012, G. Aulanier.

Quel programme scientifique à 10 ans ?

** Images de contexte Soleil entier

De nombreux instruments contemporains, qu’ils soient installés sur les grands télescopes solaires au sol ou embarqués sur des missions spatiales, possèdent des champs de vue limités. L’ensemble du disque solaire n’est ainsi pas nécessairement observé. Les observations prises avec le Spectrohéliographe de Meudon apportent ainsi des images de contexte pour les instruments de dernière génération.

De plus, les observations photosphériques et chromosphériques étant possibles depuis le sol, les satellites n’incluent généralement pas d’instruments pouvant produire des images du disque entier dans les différents points des raies chromosphériques. Les observations prises avec le Spectrohéliographe de Meudon peuvent donc apporter des observations complémentaires aux instruments spatiaux de pointe.

Ces observations de contexte peuvent ainsi être utilisées d’une première part, en amont d’une campagne d’observation, comme aide à la planification et au choix de cibles spécifiques d’étude de certaines zones du Soleil. D’autre part, en aval des observations, les observations de contexte peuvent être utilisées pour comprendre l’environnement des zones étudiées, et apporter des informations complémentaires.

Les observations du Spectrohéliographe de Meudon, peuvent donc servir d’appui et de soutien-sol à des missions spatiales en cours d’exploitation, e.g. actuellement Hinode (JAXA), Solar Dynamics Observatory (SDO, NASA), STEREO (NASA), IRIS (NASA), et futures Solar Orbiter (ESA) et Parker Solar Probe (NASA), ainsi que pour les grands télescopes solaires tels DKIST et l’European Solar Telescope.

Les observations du Spectrohéliographe de Meudon s’inscrivent ainsi dans un réseau mondial d’observatoires, le Global High Resolution Hα Network, répartis sur l’ensemble du globe terrestre, fournissant des données de contexte, et permettant une couverture temporelle la plus large possible.

** Étalon pour comparer des jeux de données historiques

De nombreux instruments, plus particulièrement spatiaux, ont une durée de vie limitée. Des instruments dédiés à l’exploration d’une gamme particulière du spectre électromagnétique n’ont pas nécessairement une couverture temporelle commune, certaines missions pouvant être lancées plusieurs années après une autre étudiant le même domaine de longueur d’onde. Avec ses plus de 110 ans d’existence, le service du Spectrohéliographe de Meudon constitue ainsi un véritable "mètre étalon" des observations visibles solaires.

Les données historiques du Spectrohéliographe de Meudon sont ainsi régulièrement sollicitées afin de comparer et de compléter des jeux de données passés de différents observatoires mondiaux. Les observations du Spectrohéliographe, acquises de manière relativement similaire depuis de nombreuses années, peuvent ainsi être utilisées pour calibrer et étalonner d’autres observations historiques.

Les données historiques peuvent aussi être utiliséss pour créer des observables synthétiques du passé. Par exemple, si les cartes du champ magnétique (magnétogrammes) de la photosphère solaire sont aujourd’hui des données produites très régulièrement, celles-ci étaient quasi-inexistantes durant l’essentiel du XXème siècle. Or ces cartes sont fondamentales pour de nombreuses thématiques de recherche actuelles. Les observations historiques dans la raie Ca II K peuvent néanmoins être utilisées pour créer des proxys de cartes du champ magnétique. Ces cartes synthétiques historiques peuvent ainsi être exploitées pour comprendre l’évolution du magnétisme solaire tout le long du XXème siècle.

** Dynamo solaire : utilité des données pour tester les modèles de dynamo solaire

Les images Hα en particulier tracent les lignes d’inversion du champ magnétique (via les filaments, présentés de façon synthétique sur les cartes synoptiques).

On sait notamment que l’inversion des champs magnétiques polaires (maximum du cycle) est précédée par l’apparition durant la montée du cycle des ceintures de protubérances polaires visibles en Hα (surmontant les lignes d’inversion créées par l’émergence du champ aux zones royales).

Le cycle de 11 ans (cycle de Schwabe) possède lui-même sa propre variabilité : il y a des séries de cycles forts et faibles, ou cycle de Gleissberg de période centennale mal connue (par manque de recul). Les cycles 22, 23 et 24 sont de plus en plus faibles. Va t-on vers un nouveau minimum de Gleissberg vers 2030 ? Fera t-il partie des minima remarquables (Maunder sous Louis XIV, Dalton sous Napoléon, Gleissberg sous la IIIème République) ? Quelle sera sa durée, sa profondeur ? C’est un programme d’envergure dans le futur pour les spécialistes.

Aborder ces questions majeures (concernant aussi le climat) nécessite des observations journalières durant des décennies. D’autres études statistiques sur les inclinaisons des taches migrant aux basses latitudes (loi de Joy) sont également possibles. Il faut donc continuer à observer à la fréquence de quelques séries d’images par jour. On notera que l’observation de la variabilité des cycles est incompatible avec la durée de vie des missions spatiales.

La continuité est donc l’apanage des observations sol. La numérisation progressive de la collection sur plaques de verre et plans films (avant l’an 2000) consolide ce programme.

** Étude des événements solaires extrêmes

Les éruptions solaires impactent régulièrement l’environnement magnétique de la Terre avec des conséquences plus ou moins importantes sur les technologies humaines (réseau électrique, trafic aérien, télécommunication, GPS, opération des satellites artificiels, …). Les observations stellaires montrent que des étoiles de type solaire peuvent produire des super éruptions, bien plus violentes que les éruptions auxquelles la Terre est soumise. Quelle est la probabilité que le Soleil produise ce type d’événement dont les conséquences seraient particulièrement néfastes pour nos sociétés humaines ?

Le catalogue centenaire d’observations du Spectrohéliographe de Meudon représente une source unique au monde d’information pour répondre à ce type de question.

Les images du disque solaire, enregistrées très régulièrement depuis juillet 1908, soit plus de 110 ans, permettent non seulement de recenser les éruptions les plus violentes, mais aussi et surtout d’apporter des informations précieuses sur les propriétés des régions sources de ces éruptions. Si l’observation régulière des taches solaires et leur dénombrement, donnant une idée approximative du niveau moyen de l’activité solaire, sont effectués depuis le 17ème siècle, ces observations n’apportent aucune information sur la production d’éruptions inhabituellement violentes et sur les régions sources. Les observations et les images du disque solaire acquises années après années apportent ainsi des données clefs pour déterminer les statistiques des événements extrêmes et leurs propriétés.